Potlatch

Bigre, difficile de résumer un tel engin qui va délibérément à contre-courant de toutes nos habitudes de lecture, surtout en matière bandes dessinées. Sous un aspect tranquille et bienveillant, soit des dessins très ligne claire et sans fioriture excessive, le scénario est à la fois complexe, du fait de sa narration non chronologique, et, en même temps, cela reste collé aux basques de la réalité la plus tangible, d'une humanité des plus banales.En fait, les deux auteurs extrapolent et délirent carrément sur le principe de l'hypermnésie, soit le fait, si vous en êtes touché, que vous vous souvenez des moindres détails d'un repas banal pris il y a trente ans, comme ça. Mais au lieu de se servir de ce truc fascinant à des fins aventureuses ou policières, les auteurs coincent le machin retors dans une vie des plus communes.Même, ils poussent le bouchon jusqu'à disserter librement sur une analyse féroce de notre bonne vieille société de consommation. Et le fait d'entasser. Le fait est que le personnage principal empile, lui, les souvenirs, même ceux sans aucun réel intérêt. Les faits, donc, rien que les faits, à l'arrivée. Pour donner corps à tout ce cirque, l'histoire est donc bringuebalée d'un moment à l'autre sans souci de chronologie. Puisque tout s'égale. Manière de conjuguer la forme et le fond.Bon, il va sans dire que beaucoup ne vont guère accrocher, voire détester, tant la BD finale ne ressemble à pas grand-chose de connu. Pourtant on se prend au jeu et on dévore les pages pour essayer d'en extirper quelque chose de tangible ou qui, au moins, fait sens. Peine perdue, la fin est bien évidemment décevante puisqu'elle n'est que la conséquence de tout ce qui a précédé. C'est en cela qu'elle est, de fait, réussie, restant fidèle à toute l'entreprise. Un revirement inattendu ou une fin qui expliquerait l'enjeu serait, finalement, dommageable, amoindrissant le propos. Avis aux curieux, donc, BD hors classe et hors concours, véritable BDNI (Bande Dessinée Non Identifiée).